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Le Liban pendant la 1° guerre mondiale

Sa situation a été désastreuse à tous les points de vue surtout durant les deux dernières années des hostilités. La Turquie, profondément aigrie des accords de 1861 convenus avec l’Europe, pour l’administration autonomique de la montagne libanaise, profitant de l’état de guerre, passa outre aux traités signés et, rancunière, elle se comporta avec rudesse et rigueur politiquement et économiquement avec la population libanaise. C’est ainsi qu’elle fit arrêter et pendre les citoyens nationalistes, autonomistes, pro-occidentaux (surtout les pro-Français, comme la famille Hani). A deux reprises j’ai vu balancer durant des heures les nombreuses victimes pendues à la place des Canons.

Le pain était rare souvent inexistant pendant qu’il se vendait tout blanc en abondance à Damas. A cet effet, la Faculté ottomane, deux fois la semaine, faisait distribuer aux étudiants, pour la plupart libanais, une miche d’un demi kilo environ dont la mie de couleur foncée, verdâtre, à goût amer, devait être préparée avec de la farine malsaine. J’ai assisté à la vente par unité des pois chiches, à la vente à prix fort dans des fioles de petites quantités de pétrole pour alimenter les petites veilleuses à pétrole, à petites mèches dans des petits pots de cirage. Rares étaient les jours où on ne voyait pas dans les rues et ruelles des cadavres victimes de la misère physiologique. Il faut que je m’empresse de vous dire que les méfaits de l’épidémie du typhus exanthématique contribuaient à accroître l’état de misère dans le pays. Puisque j’y suis, laissez-moi vous reparler un peu à contrecœur de ce que je vous avais signalé ci-haut,  dans mes précédentes pages. Au cours de mes rapports avec le docteur Medawar durant mes études aux classes supérieures à la Faculté, tout en lui servant d’assistant à ses malades pour surveiller le cœur des malades et pratiquer les injections prescrites, je lui amenais quelques malades à examiner dont Monsieur Erémia, l’orfèvre, et deux autres connaissances de notre quartier, ceci sur leur demande. Le docteur Medawar était à l’époque le chef de clinique à l’hôpital français, du temps du professeur de Brun. A notre visite avec mon dernier patient, le docteur Medawar, après son examen avant de prendre place derrière son bureau, se tournant vers moi, m’a textuellement dit ce que j’ai encore à l’esprit : « Je vous félicite Monsieur Cosmidis, de vos diagnostics sur les malades que vous m’avez confiés, tous les trois ont été exacts. » J’en étais rudement fier.

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Maintenant quelques mots sur la vie sociale à cette époque : elle était nulle.

Que représentait l’élément étranger en pleine guerre ? Rien du tout.

 

Les Anghélopoulo ? inconnus à l’époque. Le père se trouvait en Egypte, m’a-t-on dit plus tard, la famille avec des jeunes enfants déportés à l’intérieur du pays, à Marach. Les Caporal et les Germain, des Français, les Moretti se trouvaient-ils à Beyrouth ?

 

J’ai connu les Papadopoulos, des Grecs sujets ottomans, quatre frères dont l’un avait une pharmacie à la place des Canons, où je me rendais souvent. Un second frère avait une petite papeterie en face de Samadi, le Pâtissier, les deux autres frères s’étaient cantonnés dans leur propriété en banlieue de Jdeïdé.

C’est dans cette situation catastrophique que l’armée anglo-arabe venant du sud s’approchait du Liban au début d’octobre 1918. Conduite par le général Allenby et Faiçal (fils du souverain Hussen du Hedjaz), elle avançait ensuite à une foudroyante vitesse vers le nord. Le général plénipotentiaire militaire djamãl Pacha alarmé devant la preste, imminente invasion du pays, ordonne le transfert rapide, sans délai, de la Faculté au nord du pays. Dès la réception de la consigne, la direction de la Faculté intime aux étudiants l’ordre d’être présents et de se grouper à onze heures du matin le jour suivant au siège de la Faculté pour le départ en train à Antioche. Désespéré, indécis, dans un profond désarroi, hésitant, j’avais pris la décision de déserter et m’enfuir quelque part quand subitement un miracle divin survint. Les Anglais détruisaient la gare de rayak en la bombardant furieusement le matin du jour du départ. Ainsi, au grand soulagement de tous les étudiants, pour la plupart des Libanais, le pénible problème trouva sa solution. Etudiants et professeurs demeurèrent bloqués en ville, ils assistèrent à l’entrée de l’armée anglaise à Beyrouth.

 

Environ une semaine après la distribution des diplômes, à la place des Canons où je prenais le tramway, j’ai eu l’agréable surprise d’y trouver le chancelier de la Faculté, le Père de Martinprey, qui, dès mon apparition et mon salut, tout de go me dit : « Mais où êtes-vous, docteur Cosmidis, je vous ai laissé un mot depuis quelques jours chez le concierge de la Faculté, vous invitant à venir me rencontrer le plus tôt. Passez me voir demain vers les neuf heures, j’ai un poste intéressant à vous confier. » Inutile de vous dire que le lendemain à neuf heures le Père de Martinprey me recevait avec son petit sourire comme quand il n’était pas préoccupé et de mauvaise humeur et m’exprimait la raison de sa préférence à me recommander à l’Amiral de Morney qui s’était adressé à la Faculté pour le choix d’un bon médecin pour sa base de Castellorizzo. Il me remettait son mot à l’amiral en ajoutant ceci : «  N’oubliez pas, docteur, qu’à la Marine on observe de près l’étiquette. » Heureux, le matin même, je gagnais l’Amirauté. Son Excellence l’Amiral de Morney me reçut immédiatement, m’annonça le départ de son navire pour Castellorizo au début du mois d’août, me renseigna sur mes émoluments mensuels et me congédia avec ses souhaits sans autres détails.

 

Arrivé à Castellorizzo à bord d’un petit navire de guerre, j’ai de suite contacté le Gouverneur Terme et le Commissaire Le Moigne. Ce dernier m’a fait conduire à mon appartement privé situé sur le quai dans la petite baie de la petite ville où j’ai passé une période de sept mois, avant que les autorités françaises aient cédé l’île aux Italiens à la fin du mois de février 1921, et sois rentré le premier mars 1921, à bord du navire Dugay-trouin, avec tous les officiers marins français.

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