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Faits et souvenirs

La grotte marine de Castellorizzo

 

A une distance de 15 minutes en barque de notre base, un ‘’hiatus’’ peu apparent au pied de la montagne donne accès à une vaste, haute grotte marine creusée dans la dure colline. Nous nous y rendîmes un jour en compagnie avec le commissaire et l’enseigne de vaisseau, un matin, à une heure où les rayons obliques du soleil brûlant éclairaient vivement l’entrée et illuminaient très distinctement l’intérieur de la caverne montagneuse. Nous pénétrâmes en barque, têtes presque baissées, dans cette vaste caverne où le plafond était représenté par une voûte creusée dans la montagne et le plancher par l’eau claire, limpide de la mer profonde. La profonde admiration à la vue des rochers en couleur des multiples stalactites colorées demeure à jamais inoubliable, féerique.

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Distraction pour les gamins sur les quais

 

Deux à trois reprises, le commissaire Le Moigne s’est amené chez moi, muni d’une grenade à la main. De mon balcon, la grenade, lancée à la mer dans la baie, éclatait dans la profondeur de l’eau où des centaines de poissons trouvaient la mort et ne tardaient pas à flotter et paraître à la surface. Des gamins rangés sur le quai se jetaient alors à l’eau pour en cueillir un bon nombre. A savoir que le poisson, très fréquent à l’époque, se vendait à 5 piastres (1 franc) le kilo.

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Une coutume renversée

 

De par ma fréquentation, j’ai connu une famille grecque qui m’a instamment invité à participer aux cérémonies des fiançailles et du mariage de sa fille. Un groupe auquel j’ai été joint, a été –au rebours de la raison– demander la main du jeune élu, habitude strictement observée dans le pays. Le mariage a eu lieu sans retard, les festivités ; chants, musique, danses, ripaille, se poursuivirent sans discontinuer trois jours durant sur l’esplanade de l’église où fut célébré le mariage.

 

Quelques événements relatifs à ma profession

 

A quelques pas de chez moi, j’ai été lié par le couple d’un ménage grec qui en dehors de sa langue maternelle parlant couramment le turc. Sa maison située sur mon trajet demeure–infirmerie me permettait quelquefois de m’y arrêter pour souhaiter le bonjour ou, sur son insistance, pour siroter un petit café avant de joindre mon petit hôpital. Madame X tombe malade d’une typhoïde, j’en assume fidèlement et amicalement le traitement durant une quarantaine de jours. Quelques jours après la convalescence et la guérison de la malade, le couple X m’envoie avec un garçon, en signe de remerciements et de reconnaissance pour les peines fournies et les services rendus, une belle carpette persane que « l’andouille docteur Miltiades », dans son inexpérience juvénile, se croyant lésé ou atteint dans son amitié, dans sa dignité, refuse catégoriquement malgré toutes les insistances des X à admettre leur beau geste et recevoir le bel ornement. C’était l’effet de la jeunesse inconsciente.

 

Dans ce même ordre : un beau matin, un hodja, venu en barque d’Anatolie, se présente au ‘’gouvernorat’’, muni d’une lettre de son mutessarif au gouverneur français de l’île, le priant de vouloir bien rendre service au pasteur, personne digne d’intérêt. Le gouverneur Terme dirige la lettre écrite en turc au docteur Cosmidis. Il s’agit d’un malade se plaignant au flanc gauche d’une douleur sourde demeurée jusqu’ici rebelle à tous les traitements des médecins de la région. Le mutessarif tenait à confier le patient aux soins du médecin de la base réputé pour sa compétence, ajoutait-il. Le gouverneur prie le docteur Cosmidis de prendre en main le malade recommandé et de lui prêter toute l’attention nécessaire. En bref, le patient convié à l’infirmerie se présente avec son dossier des radiographies pratiquées dans son pays. Après examen de celles-ci, j’ai soumis le malade à un examen consciencieux et très approfondi. N’ayant trouvé aucune explication somatique, lésionnelle à la présence tenace de sa douleur sourde, la base gauche se son hémithorax saine, exempte de quoique ce soit (au poumon, à la plèvre, aux bronches), la rate insensible dans ses limites normales, rien au rein gauche, et au colon gauche descendant, j’ai conclu à un trouble névrotique d’ordre psychique chez ce brave religieux. Evidemment aujourd’hui j’aurais pu faire des infiltrations, essayer une cure de vitamines B12 (inexistantes à l’époque), quelques radiations électriques, mais avec les moyens réduits, sans électricité ? J’ai fini par rapporter tout cela au gouverneur au mess, durant nos repas, en y ajoutant ma suggestion   « Faute d’électricité d’un traitement psychologique pseudo-éléctrique par jets de chlorure d’éthyle ? » L’affaire au mess prit une allure théâtrale, tourna à la rigolade, à la plaisanterie, qui décida le gouverneur à me dire avec son rare sourire aux lèvres : « Docteur, débrouillez-vous avec ce que vous jugez utile de faire, mais renvoyez le Hodja guéri, chez son protecteur. » Vous connaissez le reste, déjà exposé de vive voix verbalement.

Aidé par mon chef-infirmier Coudure, mon traitement de 3 séances, 3 jours au chlorure d’éthyle, projeté sur le flanc du Hodja, en pleine chambre noire, guérit définitivement le malade. Rentré chez lui dans son village, il m’envoya avec une lettre de remerciements un cadeau de deux sacs de noix et amandes et une dizaine de gallinacés, que dare-dare j’ai fait diriger au mess des officiers.

Plus tard, quelques semaines après, toujours d’Anatolie, je recevais avec une lettre de recommandation, accompagné de son père, un enfant de 7, 8 ans qui souffrait d’une surdité de l’oreille droite où une tumeur exubérante faisait saillie dans son conduit auditif. Je n’ai pas tardé à explorer et extraire, dans sa totalité, de cette oreille, une masse plus ou moins dure, qui consistait en un pois chiche introduit, logé depuis des années dans l’oreille de l’enfant, pois qui avait fini par grossir et germer partiellement dans cet étroit logis. Soulagé, l’enfant nous quitta à la grande satisfaction et au grand bonheur de son père.

 

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