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La faculté ottomane à Beyrouth

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L’unique reproche que je pouvais faire au système d’enseignement turc c’était la durée des cours qui, presque tous, se prolongeaient sans arrêt durant trois heures d’affilée, fait qui quelquefois était fatigant pour l’étudiant, mais jamais pour moi. A part cela je n’ai que des éloges à faire à la valeur de l’enseignement avec des professeurs compétents.

 

Je cite : le docteur Wehbé Bey, professeur de culture française (Paris) nous enseignait admirablement l’hématologie, le docteur Ekrem Bey, professeur d’hygiène et de physiologie (de Berlin), le professeur Lighor Bey (grec de confession) enseignait la chimie, le professeur Moustapha Bey, parallèlement au Lighor Bey, la chimie organique médicale, où j’ai bien conçu l’étude des alcools, des vins, des sucres, le professeur Ismaïl Hakki Bey pour la botanique et les plantes médicales, le professeur opérateur, Moustapha Bey, de Lyon, excellent clinicien. Je me souviens de sa première leçon clinique à la salle d’opération devant un malade avec un genou bien enflé par un épanchement sanguin traumatique. Son explication, avant de ponctionner le genou par le trocart, était un chef d’œuvre dans la description de toutes les variétés d’épanchements de l’articulation du genou. Je me souviens vivement encore de la première leçon de clinique du professeur Moukhtar Bey (France) toujours à l’hôpital français des Sœurs à Beyrouth, l’Hôtel-Dieu n’existait pas à l’époque, au lit du malade atteint de jaunisse. C’était un cours magistral sur les ictères, leurs variétés, leurs origines, leurs appellations en français. Le professeur d’anatomie, une admirable personne aux yeux pénétrants, fulgurants, qui voyait aux tréfonds de l’âme d’autrui, fort puissant, attentif, disséquait, enseignait avec précision les différentes régions du cadavre.

 

Ici, laissez-moi vous rapporter ce fait : C’était cinq heures d’un après-midi du mois de décembre, le temps sombre, maussade. Sortis de la classe, les camarades réunis, nous attendions devant la porte de la Faculté l’arrivée du tramway. Brusquement un éclair, un tonnerre et une foudre tombe en face où sous un arbre une grosse femme s’était réfugiée. La foudre la terrasse, nous courons à son secours. Elle était déjà foudroyée morte. Le professeur d’anatomie survient à son tour pour prendre le train, à l’instant même, il nous rejoint, constate et confirme le décès de la femme et conseille son transport à la Faculté, à la salle de dissection, ordre qui fut exécuté immédiatement. Avec l’étudiant Nini, aujourd’hui chirurgien réputé à Tripoli, avec qui je m’entendais bien, nous décidâmes à nous deux de venir tôt le lendemain à la Faculté et procéder sur ce cadavre à la dissection de la région en cours d’étude. Grande fut notre stupéfaction à notre arrivée à la salle de dissection. Le cadavre était déjà travaillé sur sa peau. Le ventre, je veux dire l’abdomen, les deux cuisses étaient dénudés de leur peau par le garçon de la salle qui avait bien gratté, curé, raclé et extrait toute la graisse, l’adiposité sous-cutanée à l’effet de l’utiliser comme élément de lumière tant la pénurie en était sévère en ville à l’époque.

La guerre s’éternisait, aucun signe annonciateur d’une fin proche à l’horizon. Toujours sans nouvelles des miens, j’étais bien découragé. L’armée ottomane, à cours de pharmaciens et médecins, engageait de suite les nouveaux promus avec de substantielles rémunérations. J’avais remarqué que quelques étudiants de médecine de la quatrième année, comme moi, sur leur demande, étaient autorisés à terminer leur année dans le département de pharmacie et obtenir à la fin de l’année le diplôme de pharmacien pour s’engager dans l’armée. Après longue réflexion et hésitation, j’ai pris la décision de faire comme eux. A cet effet je me suis adressé à la direction de la Faculté où en l’absence de Edhem Bey, le directeur, appelé provisoirement à Constantinople pour consultation, c’était mon fameux professeur d’anatomie qui gérait la direction. Aussi, très timidement, je me suis adressé à lui, lui ai soumis mon cas ; orphelin d’un père, ex-pharmacien à l’armée ottomane, séparé, sans nouvelles de ma famille, je désirais terminer mes études en pharmacie, pour pouvoir venir en aide à ma famille. C’est alors que brutalement, en me lançant son regard fulgurant, il m’envoya promener en me débitant impérieusement ce qui suit : « Yallah, yallah, allez suivre et terminer vos études médicales, vous êtes un précieux élément à la Faculté et si vous avez besoin de quoique ce soit revenez me voir. » C’était tout. Je me suis retiré sans broncher et vous connaissez la suite.

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